Moi et l’autre : la place de la francophonie dans les programmes d’histoire canadiens
* Remarque — Depuis la parution de cet article, il est possible que les programmes scolaires de certaines provinces et certains territoires aient été changés ou remaniés.
Les réalités du milieu scolaire font que les enseignants deviennent des experts du programme qu’ils ont à enseigner. En revanche, ils connaissent bien peu ce que leurs voisins des autres provinces font de leurs journées.
Si, au début de cette enquête, il nous était facile d’expliquer quelle était la place des anglophones dans le programme d’histoire et d’éducation à la citoyenneté en vigueur au Québec, nous avions une idée assez vague de la place de la francophonie dans les programmes d’histoire enseignés dans les autres provinces canadiennes.
De manière générale, nous savions que la Nouvelle-France et le mouvement nationaliste étaient des sujets abordés en Ontario ou en Colombie-Britannique, mais à quels moments et de quelle manière l’étaient-ils, ces éléments nous laissaient perplexes.
Cette situation fit émerger la question suivante : quelle est la place de la francophonie dans les programmes d’histoire en vigueur actuellement dans les différentes provinces canadiennes? Afin de répondre à cette interrogation, le contenu des programmes d’histoire1 de l’ensemble des provinces canadiennes2 a été analysé.
Il ressort de cet exercice une certaine uniformité quant à leur traitement de la francophonie. Cette uniformité sera illustrée dans ce texte à l’aide de trois thématiques : la composition des programmes, le traitement des évènements historiques et l’inclusion de la perspective francophone dans les programmes d’histoire.
Avant d’aller plus loin, il semble important d’expliquer les trois difficultés rencontrées au cours de cette recherche, puisque celles-ci ont influencé notre analyse. Une première difficulté était liée à la définition accordée au terme « francophonie ». Trop souvent, le terme ne semble associé qu’aux francophones du Québec.
Ne voulant pas tomber dans ce piège, la francophonie fut, dans le cadre de cette enquête, associée à l’ensemble du fait français au Canada. Deuxièmement, la disponibilité et la forme des programmes ont posé problème. En effet, la disponibilité des textes officiels sur le Web variait grandement d’une province à l’autre. De plus, le contenu historique des programmes, surtout ceux de sciences sociales, n’était pas toujours clairement identifié dans les documents ministériels.
Afin de comparer un groupe de documents homogène, nous avons choisi d’analyser les programmes qui traitent spécifiquement de l’histoire canadienne. Il est possible que les programmes de sciences sociales proposant une orientation plus civique qu’historique traitent également de la francophonie, cependant les contraintes de ce texte ne nous permettent pas de les aborder avec la rigueur nécessaire.
Enfin, la troisième difficulté rencontrée était que certaines provinces comme le Nouveau-Brunswick ont des programmes spécifiques pour le secteur francophone et d’autres pour le secteur anglophone. Toujours afin de conserver une certaine homogénéité dans les données récoltées, les programmes francophones de ces provinces n’ont pas été étudiés dans cette recherche.
La composition des programmes
Une lecture attentive des différents programmes permet de constater que certains évènements reviennent d’une province à l’autre. C’est le cas de la période de la Nouvelle-France qui est généralement abordée assez tôt dans le parcours des élèves (en cinquième année en Saskatchewan, par exemple3). La Conquête ou la perte de la Nouvelle-France d’un point de vue francophone est moins fréquente, seules quatre provinces sur neuf semblent la présenter ainsi; il s’agit du Manitoba, de l’Ontario, de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve-et-Labrador.
Dans les autres provinces, les documents disponibles présentent plutôt l’évènement comme une passation de pouvoirs d’une grande puissance à une autre. Les Acadiens sont plus souvent mentionnés dans les provinces atlantiques, tandis que les rébellions métisses4 menées par Louis Riel sont presque toujours incorporées dans les programmes. Seul le programme de la Colombie-Britannique ne semble pas mentionner cet évènement.5
Les rébellions des patriotes, tant celles du Haut-Canada que celles du Bas-Canada, semblent plus populaires à l’est du pays, car elles sont mentionnées dans les programmes de l’Ontario, du Québec, du Nouveau-Brunswick et de Terre-Neuve-et-Labrador. Enfin, la thématique la plus importante est celle du nationalisme québécois qui est étudiée dans l’ensemble des provinces canadiennes.
Le tableau qui suit se veut une synthèse des principaux thèmes retrouvés dans les programmes d’histoire canadiens.
Naturellement, il ne s’agit ici que des évènements les plus fréquemment retrouvés dans les curriculums analysés. On trouve dans chaque province certaines particularités quant au contenu traitant de la francophonie. Par exemple, l’Ontario propose un module dans son programme de 10e année dédié aux relations entre les francophones et anglophones du pays.
Dans ce module, outre la question du nationalisme québécois, les enseignants doivent aborder la crise associée à la conscription lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. De plus, le programme ontarien invite les élèves à identifier les principaux groupes francophones hors Québec et à s’intéresser aux luttes menées par ces groupes afin de faire reconnaître leurs droits.
Enfin, ce même programme demande aux enseignants de compléter avec leurs élèves une analyse de l’évolution des relations entre le Canada anglais et le Québec. L’accent doit être mis sur l’évolution des politiques relatives à la langue et sur les problèmes constitutionnels.
Le Nouveau-Brunswick, quant à lui, s’intéresse tout particulièrement à l’histoire acadienne (le Grand Dérangement), mais aussi aux francophones habitant un peu partout au pays. Il est notamment question de Maurice Duplessis et du parti Union nationale ainsi que de la crise de la conscription et des retombées de la conférence du lac Meech.
Du côté de l’Alberta, les élèves doivent en 4e année s’intéresser aux manières dont les Francophones se sont établis à la fois dans les communautés urbaines et dans les communautés rurales de la province. Enfin, la culture francophone est étudiée au Manitoba en 9e année, et le thème de la dualité langagière est à l’honneur en 11e année.
Cette brève description du contenu des programmes tend à montrer que la francophonie y tient une place non négligeable. Outre les « grands évènements » d’ordre politique retrouvés dans la majorité des programmes, chaque province semble mettre l’accent sur sa relation particulière avec les diverses communautés francophones.
Ainsi, l’Ontario s’intéresse aussi bien à son voisin le Québec qu’aux Franco-Ontariens. Le lien de proximité nous semble ici être le critère principal quant aux évènements choisis par les différents ministères lors de l’élaboration du contenu de ces programmes.
Le traitement des évènements historiques
Maintenant que nous avons abordé le contenu retrouvé dans les différents programmes canadiens disponibles, il semble important de s’interroger sur les contextes dans lesquels les évènements sont présentés. Autrement dit, comment les enseignants doivent-ils intégrer et présenter la francophonie en classe d’histoire ou de sciences sociales?
Bien entendu, pour véritablement répondre à cette question, il faudrait idéalement compléter une étude des manuels scolaires disponibles dans les provinces canadiennes ainsi qu’une recherche empirique composée d’observations en classe. En effet, comme l’indique Lenoir7, il existe un fossé considérable entre les demandes ministérielles et l’interprétation et l’application des programmes par les enseignants. Compte tenu des limites de ce texte, nous nous en tiendrons ici aux orientations proposées par les différents ministères.
Commençons cette analyse en nous intéressant aux différents « grands évènements » qui sont présents dans les programmes. On peut constater qu’il existe un certain passage à vide entre la vie en Nouvelle-France et la montée du nationalisme québécois. Entre ces deux évènements, seulement quelques programmes traitent des Acadiens, des Métis ou des révoltes des Patriotes (tant au Haut qu’au Bas-Canada), mais sans plus.
Si l’on reprend maintenant le thème de la Nouvelle-France, celui-ci semble le plus fréquemment étudié à la fin du primaire (en Saskatchewan en 5e année, et en Ontario en 7e année8). En Saskatchewan, par exemple, la Nouvelle-France est étudiée sous trois angles différents.
Le premier angle porte sur les relations entretenues entre les nations autochtones et les colons européens d’origine française et d’origine anglaise. Le programme désire souligner les relations d’influence entre les trois groupes. Le second axe touche la Nouvelle-France de manière plus précise puisque l’élève doit « [i]dentify the social and cultural characteristics of New France (e.g. the influence of missionnaries and of the Catholic Church; music; dance)9 ».
Enfin, le troisième angle traite des relations entretenues par les dirigeants britanniques avec les autochtones et les francophones, et ce, de la prise de possession du territoire par l’Empire britannique jusqu’à l’établissement du Bas et du Haut-Canada. Outre le thème de la Nouvelle-France, le programme d’histoire de 5e année de la Saskatchewan invite également les élèves à mieux comprendre qui étaient les Acadiens et les raisons de leur déportation.10
Si l’on compare les demandes du programme de 5e année de la Saskatchewan avec les demandes retrouvées dans le programme de 7e année de l’Ontario quant à l’étude de la Nouvelle-France, on se rend rapidement compte qu’il y a peu de différences entre les deux.
En effet, le programme ontarien vise également à expliquer pourquoi les colons vinrent s’installer en Nouvelle-France, quelles étaient leurs relations avec les nations autochtones rencontrées et quelles étaient les caractéristiques de la société à cette époque. Les deux programmes sont identiques à un détail près : l'étude de l’industrie de la fourrure.
Du côté de la Saskatchewan, le programme indique que les élèves doivent s’interroger sur l’impact du commerce de la fourrure sur la population canadienne dans son ensemble, tandis que du côté ontarien, le commerce de la fourrure est perçu comme une cause parmi d’autres permettant d’expliquer la colonisation du territoire, mais aussi les conflits entre l’Angleterre et la France en Amérique du Nord.
Autre différence, la période couverte par le programme de la Saskatchewan est beaucoup plus longue puisque les élèves traitent des relations entre les Français, les Métis, les nations autochtones et les Anglais entre 1608 et 1867. Du côté ontarien, la partie du programme traitant de la Nouvelle-France se termine par la perte de celle-ci aux mains des Britanniques en 1760. Le module subséquent traite, quant à lui, de l’Amérique du Nord britannique, module dans lequel les colons français ne sont que peu abordés.
En somme, la comparaison de ces deux programmes permet de proposer quelques conclusions quant au traitement de la francophonie. Premièrement, les savoirs proposés aux élèves de la Saskatchewan et de l’Ontario diffèrent peu de ceux proposés aux élèves du Québec dans le programme de sciences humaines actuellement en vigueur au primaire.
L’importance du commerce de la fourrure, la structure de la société en Nouvelle-France, la seigneurie ainsi que bien d’autres éléments sont abordés dans les trois provinces. Deuxièmement, si les savoirs sont similaires, la perspective dans laquelle ils sont étudiés diffère. Ainsi, l’Ontario et la Saskatchewan mettent l’accent sur les relations entre nations autochtones, colons français, Métis, Acadiens et colons britanniques afin d’expliquer soit de possibles tensions ou encore des alliances.
Du côté québécois, si nous nous attardons uniquement aux programmes du primaire, l’aspect relationnel est minimisé. Selon la progression des apprentissages, les autochtones sont considérés comme un groupe vivant sur le territoire, et leurs relations avec les colons français ne sont pas nécessairement mises de l’avant dans les modules traitant spécifiquement de la Nouvelle-France.11
Ainsi, il semble que dans les programmes anglophones, ce qui prime est la relation entre les différents groupes sociaux de l’époque. Ces relations peuvent être facilement transposées à la réalité d’aujourd’hui puisque les groupes sociaux, bien que leur nature se soit complexifiée, existent encore.
C’est donc la relation avec « l’autre » qui importe tandis qu’au Québec, il semblerait que l’étude de la Nouvelle-France permette plutôt à l’élève de trouver l’origine du « nous » en tant que descendants de colons français.12
L’inclusion de la perspective francophone
Le troisième et dernier thème traité par ce texte s’intéresse à l’inclusion dans les programmes canadiens d’une perspective francophone. Dans le programme d’histoire de l’Alberta en 9e année, il est clairement indiqué que l’enseignant et ses élèves doivent s’intéresser aux évènements historiques en adoptant différentes perspectives, notamment une perspective francophone ou une perspective autochtone.13
Ainsi, un évènement comme la Confédération canadienne s’étudie à partir de trois angles : l’angle des anglophones, l’angle des francophones et l’angle des autochtones. Cependant, outre le programme ontarien dont les demandes amènent les enseignants à considérer une perspective francophone sur certains évènements, le programme de l’Alberta est le seul à l’imposer sur l’ensemble des évènements historiques étudiés en 9e année.
En fait, le seul évènement qui semble nécessairement amener les élèves à adopter une perspective francophone, et ce, peu importe la province14, serait la montée du nationalisme au Québec. Ainsi, la question nationale est souvent introduite dans les programmes par l’étude de la dualité canadienne comme dans le programme d’histoire de 11e année du Manitoba.15
Cette dualité permet une prise en compte d’un mécontentement grandissant dans la province de Québec qui sert de point de départ à l’étude du mouvement nationaliste, comme c’est le cas dans le programme de 10e année en Ontario.16 Le lecteur serait en droit de se demander pourquoi la perspective francophone n’est pas abordée plus tôt dans les programmes.
En effet, il semble juste de supposer qu’un élève dont le programme d’histoire ou de sciences sociales a constamment mis l’accent sur l’unité canadienne soit déconcerté, lorsqu’arrivé en 10e ou 11e année, par l’émergence d’un mouvement nationaliste au Québec.
Pourquoi le Québec voudrait-il soudainement se séparer du reste du Canada? Une explication possible à cette situation serait que les programmes dits d’histoire canadienne qui sont enseignés vers la fin du cursus secondaire (10e ou 11e année) dans la plupart des provinces amorcent leur étude avec la Confédération canadienne. Ainsi, les conflits opposant la France et l’Angleterre ou encore le Haut et le Bas-Canada avec l’Angleterre ne font pas partie du programme.
Ces évènements sont étudiés plus tôt dans le cursus scolaire et ne sont pas nécessairement repris par la suite. Ainsi, les revendications nationales étudiées selon le point de vue des francophones arrivent un peu comme un cheveu sur la soupe, sauf en Ontario, qui spécifie dans son programme l’importance d’illustrer les changements dans les relations entre le Québec et le Canada anglais à partir de l’évolution des lois sur la protection de la langue française et sur les questions constitutionnelles.
Malgré une apparition spontanée, la question nationale semble être le seul moment où une perspective francophone est de facto proposée aux élèves des provinces canadiennes. Cela est peut-être le cas, car le mouvement nationaliste a du sens uniquement si les intentions de la société dans laquelle le phénomène émerge sont prises en compte.
De plus, comme il s’agit également d’un phénomène encore présent aujourd’hui, le point de vue de l’autre devient essentiel à la compréhension des débats de société que la question engendre. Bien que tous les programmes proposent l’étude de la question nationale de manière tout à fait neutre, il serait intéressant ici de constater comment cette question est concrètement abordée en classe, et ce, tant au Québec que dans le reste du Canada.
Conclusion
En guise de conclusion, une étude rapide des différents programmes canadiens semble indiquer que la francophonie y joue un rôle d’une certaine importance. En effet, un consensus quant aux évènements incontournables à y inclure, émerge de leurs pages.
Un peu comme la question des autochtones au Québec, la francophonie est abordée dans ce que l’on pourrait appeler le « début » ou la « fondation » du Canada avec la période de la Nouvelle-France et celle de l’Amérique du Nord britannique pour disparaître ensuite et réapparaître avec la question nationale à partir des années d’après-guerre.
On peut donc constater un « trou » dans lequel la perspective francophone n’est pas abordée. Ce trou est parfois comblé, comme c’est le cas en Ontario, mais cela semble surtout dépendre de la proximité et de l’importance des communautés francophones.
Il n’est donc guère surprenant que l’Ontario, entre son voisin le Québec et les Franco-Ontariens vivant sur son territoire, soit la province qui traite le plus souvent de la question francophone. Malgré tout, la majorité des évènements choisis par les différents ministères se retrouvent presque tous dans le programme québécois.
C’est leur traitement qui diffère puisque les programmes analysés semblent mettre l’accent sur les relations entre les francophones et le reste du Canada, ce qui n’est pas le cas dans les programmes du Québec. Enfin, l’élément rassembleur semble être la question nationale qui entraîne une prise en compte de la perspective francophone.
Ceci étant dit, il serait intéressant de mieux connaître l’application de ces programmes dans le contexte de la classe. Nul doute qu’entre les demandes ministérielles et le curriculum enseigné, une autre vision du « moi » et de « l’autre » pourrait émerger.
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Cet article fait partie d’une série d’histoires parues initialement dans le magazine Enjeux de l’univers social de l’Association québécoise pour l’enseignement de l’univers social (AQEUS).